Photographies couleur
Le ton est donné dès les premiers vers. L’enfance n’est qu’un rêve éculé de paradis sans mémoire. La naissance accouche d’une « chose » qui va déjà de travers « sur un matelas sale ».
Murièle Modély poursuit avec Radicelles l’état des lieux du corps et de la langue qui marque sa poésie depuis son recueil Penser maillée. Le corps animal de l’humain et le corps végétal de l’arbre. Le corps au ventre volcanique de l’île « fantasmée » sous le « ciel de là-bas ».
Mais c’est ici que vit l’auteure, un ici impossible à féconder. Dans une langue, entre créole et français, qui « s’emmêle comme une suie sur la crête des vagues ». Des racines, des radicelles, des greffons et des coques de fruit sec s’enchevêtrent sous la peau « où desquame la mémoire », sous l’écorce en lambeaux. La « chose » parle en hoquetant. La joie elle-même est une morsure qui avorte l’histoire.
Le « mythe initial » du martyre de l’île asservie est alors introuvable dans la bouche décomposée : un œuf y a pourri, des larves en tombent.
Une fois encore, Murièle Modély pétrifie le lecteur par la violence de ses évocations. Des images de l’univers viscéral de Louise Bourgeois pourraient lui traverser l’esprit et achever sa suffocation sous le rouge tremblant des flamboyants.
En contre écho comme un manifeste froid, les photographies de Vincent Motard Avargues s’immergent au cœur de la matière. Dans un va-et-vient du net au flou, elles suggèrent l’empêchement à désigner le visible. Seules trames et fibres, naturelles ou artificielles, témoignent de traces que l’œil traduit sur l’établi du récit.
Mais pour dire quoi du vivant qui se délite inexorablement ? Comment interpréter les tissus dépigmentés, les poussières granuleuses, les rouilles autour des fractures, les salissures au grain de paille ou les incrustations de feuilles sèches dans la terre incandescente ?
Le lecteur se fera son chemin dans ce jeu de miroirs qui trouble l’ici et l’ailleurs et c’est ainsi que ce recueil saura longtemps le retenir.
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Préface de Dominique Boudou
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RADICELLES
Murièle Modély : texte
Vincent Motard-Avargues : photographies
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18 euros
Format 17 X 24 cm
Papier vergé
Dos carré collé
48 pp.