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Tu perçois un espace aux contours mouvants

Il perce de son évanescence les convictions de ton corps

Il en perd confusément sa sublime unicité

 

***

 

Tu fixes ton regard au hasard des lieux

Cherchant à interrompre les échanges impétueux

Et à court-circuiter ces intrusions et fuites qui t’accomplissent malgré toi

 

***

Marcher, avancer, hésiter, trébucher

Revenir sur ses pas, vers ce qui fut

Marcher dans l’inquiétude de la solitude

 

***

Format 12 x 21

Dos carré

56 pp.

Papier vergé

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Dessin de couverture : Lapatapo

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13 euros

REVUE LICHEN n°77

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Note de lecture

 

Didier Gambert a lu Impression vide devant, de Gérard Leyzieux (éditions Tarmac, mai 2022, 56 p., 13 €)

 

Auteur d’une œuvre poétique discrète, marquée du signe de la concision, publiée pour l’essentiel aux éditions Stellamaris (Michel Chevalier, Brest), Gérard Leyzieux vient de faire paraître chez Tarmac un recueil au titre sans doute parodique à sa façon : Impression vide devant. Le clin d’œil à Monet, qui, avec la postérité que l’on sait, illustrait de la sorte, et sans le vouloir, l’aube de l’impressionnisme, se double vraisemblablement d’une forme d’ironie chez Gérard Leyzieux, dans la mesure où le livre nous dit clairement qu’il ouvre sur le vide. S’agit-il du « vide parfait » présent dans certaines philosophies extrême orientales, comme pourrait le suggérer l’illustration de couverture à l’encre de Chine réalisée, cela ne s’invente pas, par Lapatapo, ou bien d’une forme de nihilisme sophistiqué ? Formé de quatre chants sobrement indiqués par un chiffre romain, le recueil se présente comme un ensemble de tercets séparés par des astérisques, façon, sans doute, de conférer à chaque unité ainsi délimitée, une forme d’autonomie. On s’aperçoit cependant, à la lecture, que ces tercets forment souvent des suites, s’enchaînent pour constituer des sortes de laisses poétiques. Est-ce par ailleurs un hasard si la strophe choisie, le tercet, rappelle au lecteur le modèle prestigieux de La Divine Comédie ?

 

Ne nous y trompons pas, en effet, ces tercets sobrement ciselés, d’où toute émotion, tout pathos, semblent absents, finissent par susciter chez le lecteur une insidieuse mélancolie. On s’aperçoit très vite que le poète, usant d’un « tu » qui peut le représenter (mais n’oublions pas le « je est un autre » de Rimbaud, ou les réflexions de Proust établissant une distinction nette entre le « moi social » de l’auteur et le « moi » qui s’exprime dans l’œuvre adressée à un public), nous parle de la vie, la sienne peut-être, mais assurément de la nôtre. Le lecteur se reconnaîtra volontiers dans certaines aspirations à l’idéal, comme celle qui ouvre le recueil : « Les senteurs des fleurs / Élèvent ton corps / Jusqu’aux bords de leurs bouquets » (p. 5). Il y a quelque chose de mallarméen dans une telle représentation. On croit y déceler un désir d’idéal, représenté par la tension du corps qui essaie d’atteindre à la senteur, mais reste en quelque sorte sur le seuil de son désir, peut-être en raison de sa nature purement corporelle. Deux strophes plus loin, on peut lire : « Par-dessus la couleur des flammes / S’évader et sublimer cette matière / En occupant un certain espace du temps » (p. 6). Il y a l’idéal et il y a la vie, cet « espace du temps » auquel il nous incombe de donner forme. Très vite, le « tu » mis en scène dès le début du recueil, révèle indéniablement sa nature artiste : « Ton bras a déjà lancé sa main / Le pinceau s’abat / Et trace son dess(e)in » (p. 7). Là encore on retrouve le hiatus formé par la coexistence de la matière – bras, main, pinceau, dessin – et de l’esprit (dessein). À partir de là, le poète nous convie à parcourir le « chemin de la vie » : « Il te suffit alors de suivre / Ce chemin sans fin / Empli de tout ton temps » (p. 7). Autant dire que Gérard Leyzieux nous invite à une lecture scrupuleuse et patiente : on tirera profit à cartographier le « vide devant ».

 

Plus loin, le recueil déroule pour nous, en effet, le chemin de la vie et semble un temps explorer le mystère de la naissance : « Dans quel passé vais-je atterrir ? / À quelle partie de mon esprit aurais-je accès ? Avec quels bruits devrais-je composer ? » (p. 20). Naître, en effet, n’est-ce pas surgir dans un passé dont il y a tout à apprendre, avant de le comprendre : « Et maintenant AP-PRENDRE, rencontre troublante de la préhension / Et maintenant COM-PRENDRE, lieu déroutant de la parole / Continuellement PRENDRE, combler l’évanescence de la mémoire » (p. 25) ? La naissance est aussi perçue comme « Chute irrémédiable, chute inéluctable / Écoulement et glissement des matières encore malléables / Sous les sens largement ouverts à tout entour » (p. 25). 

 

La démarche de Gérard Leyzieux se veut donc à la fois poétique, dans la mesure où la langue est soumise dans Impression vide devant à un travail de condensation, voire d’expérimentation, mais aussi philosophique — mais quelle poésie authentique ne l’est pas ?

 

Pour finir, le tercet, qui a scandé tout le recueil, se défait dans un finale de vingt-sept vers qui semble reprendre l’essentiel des questions autour desquelles a gravité le recueil, finale qui se conclut par : « Un parcours insensé te mène de toi à toi et de toi à tout / Dans cette matière du monde qui t’accueille / Au travers de son impressionnant vide de sens » (p. 53). Cela n’est pas sans évoquer la forme du Boléro de Ravel, qui, après avoir installé un rythme entêtant, en vient à fracasser son œuvre dans un finale aux accents apocalyptiques, laissant l’auditeur, ici, le lecteur, un peu comme perdu, désemparé.

 

Didier Gambert

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